Il y a longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à lire. Je choisis de temps en temps une biographie, lorsque je suis fasciné par la personne concernée, ce qui est le cas avec Daphné Du Maurier. Et je dois dire, que c’est la meilleure biographie qu’il m’ait été permis de lire à ce jour.
Tatiana de Rosnay à fait un travail remarquable, elle devait bien ça à Daphné qui est l’une de ses idoles, mais le pari n’était pas gagné…
« Daphné Du Maurier est entrée dans ma vie lorsque ma mère, anglaise, m’a offert Rebecca pour Noël. Je devais avoir 12 ans, et j’étais un vrai rat de bibliothèque. Ce livre a été une révélation. Je voulais déjà être romancière, et je signais Tatiana Du Maurier. Bref, j’étais complètement possédée. »
Comment ne pas être tentée d’encenser cette auteur hors du commun, ou de faire de la surenchère autour de sa vie ? Simplement en étant humble, en n’essayant pas de titrer des suppositions intellos, psychologiques ou croustillantes, en ne prenant pas partie, en s’en tenant aux faits et à l’oeuvre de Daphné Du Maurier. En allant sur les lieux où vécut Daphné, en rencontrant ses enfants, en lisant ses mémoires, ses correspondances, son journal intime jamais publié, les autres biographies…etc.
Au final, Manderlay For Ever, de Tatiana de Rosnay est passionnante, jamais ennuyeuse, sans style alambiqué ou savant comme si le biographe devait dépasser son sujet et affirmer son niveau littéraire, bref un vrai bonheur et une mine d’informations sur cette auteur anglaise secrète.
Daphné du Maurier, une fille issue d’un milieu d’artistes (grand père dessinateur et romancier, père grand acteur de théâtre), bourgeois, à la jeunesse dorée…gâtée et pourtant solitaire dès son enfance, tétanisée à l’idée de devoir fréquenter les soirées mondaines , ce qui perdurera toute sa vie. Daphné la sauvage, qui ne donna aucune interview avant un âge très avancé, qui ne fréquentait jamais les salons, les librairies, qui ne rencontrait jamais aucun lecteur…mais qui répondait à chacune de leurs lettres, seule sur sa machine à écrire, avant de se mettre à écrire dans sa Cornouailles sublime, face à la mer, aux fleurs et aux rochers…
Daphné, l’ambivalente, qui préférait la compagnie des femmes et les amours féminines, bien qu’elle ait eu aussi des amants, et un mari militaire de carrière avec qui elle resta jusqu’à la mort de ce dernier et eut trois enfants. Elle s’est toujours senti plus garçon que fille. Daphné était irrésistible dès son adolescence, personne ne lui résistait d’un point de vue séduction. Elle ressentit son premier émoi avec l’un de ses cousins, marié, vingt ans plus vieux qu’elle. La seule à l’avoir éconduite amoureusement, fut l’épouse de son éditeur américain, avec qui elle partagea néanmoins une amitié forte malgré un chagrin d’amour évident Daphné était alors au faite de sa gloire.
Daphné l’égoïste aussi, ne vivant que pour et par l’écriture et les maisons dans lesquelles elle écrivait. Pratiquant la voile, la marche sur les sentiers douaniers, accompagnée de son chien. Allant jusqu’à délaisser ses propres filles ou son mari pour venir à bout d’un livre, refusant qu’on la dérange. Allant jusqu’à imposer de vivre dans un vieux manoir glacial au milieu des bois dans la Cornouailles anglaise, le fameux Menabilly qui lui inspira en partie Manderlay.
» J’ai un peu honte de l’admettre, mais je crois que je préfère Mena aux gens »
Mais avait-elle le choix? Daphné était comme son grand-père et son père, sujette au « ruban noir »…ce fil de tristesse intime pouvant faire ressortir son côté sombre et torturé, et la faire basculer dans une mélancolie régressive…écrire était sa porte de sortie, sa survie.
» Pourquoi je me sens ainsi, si mal ? Je sais bien que nous sommes des enfants gâtées et que je ne devrais pas me plaindre, je devrais être heureuse d’être en famille, en vacances, mais il y a ce vide profond en moi et je ne sais comment le combler. Cette sensation reste ne permanence , pourquoi? Je ne puis rien dire aux autres, ils ne comprennent pas, ils me trouvent d’humeur changeante , fatigante, trop amère pour mon jeune âge. C’est quand même terrible d’être déjà lassées par la vie, non ? »
Daphné la paradoxale vis à vis de des proches, qui d’un côté ne pensait qu’à écrire et faisait passer les autres après cette ambition , mais Daphné la généreuse qui dépensait ses revenus pour aider sa famille, ses enfants, sa vieille tante malade, finançait en partie les bateaux de son mari, (passionné de voile comme elle…leurs meilleurs moments à deux) ses gouvernantes et autres domestiques…Daphné que le succès et l’argent n’ont jamais changée, qui n’a jamais vécu dans le luxe une fois indépendante. préférant voyager sans cesse, prenant des notes partout pour ses futurs écrits, et s’y replongeant plus tard…
Tatiana de Rosnay dit ceci :
» Daphné fait partie de ces écrivains qui préfèrent regarder en arrière, pas de l’avant, qui sont capables de noircir des pages entières sur ce qui fut, un lieu, une trace, mettre des mots sur la fugacité de l’instant, la fragilité du souvenir qu’il faut embouteiller comme un parfum ».
Et quels écrits, et c’est là tout l’intérêt de cette biographie, Tatiana de Rosnay montre comment Daphné écrivait. Elle partait toujours de sa vie réelle, des lieux, des maisons, de ses proches, de rencontres…elle laissait » infuser « jusqu’à ce que le livre prenne corps dans sa tête et alors se mettait au travail, six à sept heures par jour jusqu’à la fin du livre. Son oeuvre est riche et Daphné désespérait de passer simplement pour une auteur romantique et une grande raconteuse d’histoire. Et de fait, outre des romans à succès, elle écrivit beaucoup de nouvelles terrifiantes voire carrément trash, des biographies, des livres sur sa famille ou plutôt sur son ascendance française dont elle était très fière, des essais, des livres mélangeant fiction et histoire…et souvent ,elle était descendue par la critique et pouvait décevoir aussi ses lecteurs…qu’importe, elle était libre, indépendante et écrivait ce qu’elle avait envie d’écrire.
Bien entendu Rébecca, lui a changé la vie, même si elle avait déjà rencontré le succès bien avant. A partir de là, elle fut éditée dans de multiples pays, adaptée au cinéma, pas toujours avec bonheur selon elle, on lui offrit jusqu’à 25% de droits d’auteurs. Rébecca, inspirée par beaucoup d’éléments réels pour nombre de rebondissements…
Daphné l’ambivalente encore une fois, la femme d’exception, et la femme ordinaire, fière mais jamais prétentieuse, toujours fidèle mais souvent dure en amour, irrésistible et pourtant paniquée en société, gaie à l’humour ravageur et pourtant noire et mortuaire dans ses écrits…
Et puis, à la fin de sa vie, Daphné l’être humain ordinaire, rattrapé par l’âge, les soucis , la panne d’inspiration, le deuil de ses proches, le déclin de ses facultés…la fin de Manderlay For Ever est vraiment triste…et vous savez quoi, l’avantage des biographies c’est qu’on peut révéler que la personne meurt sans spoiler quoi que ce soit…
Quant à moi, j’ai noté deux ou trois titres que je souhaite lire de Daphné du Maurier, et je n’arrive pas à la quitter…comme lorsque je lisais les soeurs Brontë, auteurs favoris de Daphné. Du coup, non seulement je dois déjà aller dans le Yorkshire, mais en plus voilà maintenant que je vais devoir aller dans la Cornouailles anglaise…merci Tatiana de Rosnay.
Le dernier mot est pour Daphné :
» Nous sommes tous doubles. Tout le monde l’est, chacun possède un côté obscur – quelle face vaincra l’autre ? Le mal en nous remonte toujours à la surface. Si nous ne le reconnaissons pas à temps, si nous ne l’acceptons pas, ne le comprenons pas, nous seront tous annihilés, comme mes personnages dans Les Oiseaux »
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