Mes mauvaises pensées de Nina Bouraoui (2005)

mes mauvaises penséesIl est des auteurs à qui on pourrait raconter toute sa vie, des sortes de frères et soeurs littéraires en quelque sorte. Je crois que Nina Bouraoui est dans cette catégorie. C’est la troisième fois que je la lis et à chaque fois je suis séduit, d’autant que les styles et les histoires sont très différents à chaque livre. Dans La voyeuse interdite, son premier livre, le style est très poétique et cru en même temps. Dans Standard, l’un de mes  gros de coeur de 2014, le romanesque et le mélancolique sont magnifiés par l’auteur.

Les mauvaises pensées est un long monologue , sous la forme d’une conversation à une psychanalyste, à qui  la narratrice raconte sa vie. Il y est question de son enfance, de son déracinement vis-a-vis de l’Algérie, son pays natal, de sa famille algérienne et française, de ses amours pour les autres femmes…entre autres choses.

 » j’ai passé moi aussi ma vie à compter les corps, les visages et les coeurs brisés, puis à compter mes jours français qui dépassent, depuis peu mes jours algériens, et je crois que ma vie peut commencer, que je suis en supériorité numérique , que la fille que j’ai inventée au 118 rue Saint Charles est bien plus vivante que celle qui jouait sous les orangers »

Ce n’est pas un livre facile à lire, car ce monologue fait 350 pages , il n’y a pas de respirations, pas de structure scénarisée, pas d’effets de styles poétiques. Il s’agit d’un récit brut, fort et sonore, d’une femme qui à peur d’elle même et de ses phobies, de sa grande colère intérieure, de sa violence et qui cherche plus ou moins à approcher les origines du mal.

Ce qui me touche chez Nina Bouraoui, c’est sa façon de parler de la tristesse, les  trois romans que j’ai lus d’elle, renvoient à  une tristesse intérieure, un ennui existentiel , une instabilité qui se traduit par des comportements pouvant apparaître exubérants pour qui ne connaît pas ces sentiments là.

Alors bien sur, ces mots peuvent faire fuir quand elle parle de « ses mauvaises pensées ».

« Les phobies se sont déplacées comme moi je me déplace , du réel à un monde qui n’existe plus, l’angoisse est une chute vertigineuse, de l’esprit dans le corps: je tombe ou je me tombe, je deviens le vigile de mes mains, celles qui pourraient griffer, étrangler, dépecer; on se réveille un jour et ce jour n’est plus je jour d’avant, on se réveille avec un visage, et sous la beauté de la peau se déploient les écailles d’un monstre , je ne sais plus qui je suis, et pire encore, je crois devenir ce que j’ai toujours été »

Ces mots peuvent aussi déprimer quand la narratrice parle des amours mortes et du temps qui passe.

« Je n’ai jamais cessé d’aimer Diane; il y a un cimetière amoureux je crois, il faudrait écrire sur ce lieu, il faudrait reprendre  Le mausolée des amants d’Hervé Guilbert et reconstituer l’édifice des filles puis des femmes de ma vie; j’écrirai sur les femmes de ma vie; j’écrirai sur les femmes de Provincetown, celles de mon hôtel, plus âgées que celles de la nuit, il faudrait écrire sur leur peau fine que protègent du soleil, sur leur corps si délicats, sur la peur de ne plus séduire…. »

En somme, Nina Bouraoui parle de la vie , et donc de la mort (notez que le Prozac n’est pas vendu avec le livre, je le précise au passage) .

 » Je ne supporte pas cette idée de disparition entière, je ne peux pas la soutenir. Je crois que ma fascination pour la beauté vient de là, de cette peur, ce n’est pas juste la peur de la mort, c’est la peur de la disparition; et l’on peut disparaître sans mourir, c’est de cela que j’ai peur, être et ne plus être… ».

Et pour terminer, Mes mauvaises pensées aborde aussi la question de l’écriture.

 » Les livres ont ce pouvoir d’annuler le monde, d’étouffer les cris; ce sont des livres murailles, il y a plusieurs façons de quitter la vie, les livres sont de cette drogue ».

J’ai déjà hâte de retrouver Nina Bouraoui dans un prochain roman. Celui-ci a obtenu le prix Renaudot en 2005.

 

 

 

12 réflexions sur “Mes mauvaises pensées de Nina Bouraoui (2005)

  1. sous les galets

    Je me souviens très bien de ton billet sur Standart (à cause de la Bretagne), tu m’interpelles avec cette romancière, tu sembles ressentir avec elle ce que moi je ressens avec Modiano. Visiblement celui-là est quand même très autobiographique non, il vaut mieux que je commence donc par un autre non ?
    C’est très beau le passage sur les phobies, pour quiconque est phobique, c’est vraiment très vrai.
    Je vais la découvrir, je vais voir quel titre me tente le mieux.

    1. Difficile de te conseiller un titre. Celui est est carrément autobiographique, il n’y a pas d’histoire…
      La voyeuse interdite (son premier livre qu’elle a du mal à assumer aujourd’hui) est très fort, très poétique sur la première moitié, mais assez bancal sur la deuxième moitié…erreur de jeunesse m’avait dit l’auteur en aparté.
      Srandart, j’ai adoré, c’est un vrai roman, et je me suis rarement autant identifié à un personnage masculin que dans ce roman là.
      Je n’ai lu que ces 3 romans , elle en a fait beaucoup d’autres.
      Ce n’est pas l’équivalent de Modiano pour toi je pense, mais disons que c’est une âme soeur littéraire pour moi, comme Gavalda, Blondel et surtout Delphine de Vigan !!
      Bonne découverte si tu franchis le pas !!

  2. somaja

    Voilà une chose qui pourrait me tenter, même si je ne suis pas fan de l’autofiction (parce que d’après ce que tu dis, je comprends qu’elle se sert de l’écriture comme d’une analyse et du lecteur comme d’un psy). C’est l’écriture qui me donnerait envie de découvrir cette auteure (déjà notée chez toi).

    1. Oui c’est bien cela, elle raconte sa vie , elle a fait ça pendant un cycle, depuis elle est dans les romans…mais on retrouve toujours son style, sa forme de violence et de vérité et c’est quelqu’un qui me parle et me touche, je la relirai encore !!

  3. soene

    Je vais encore passer à côté du prochain Top mindthegapien 😥
    Moi itou j’passe mon tour sur cet auteur (pas de féminin pour moi !)
    En ce moment je lis « La 5e femme » de Henning Mankell qui ne me passionne pas vraiment 🙄
    Les lectures dirigées (Club de lecture) m’empêchent de lire ce que je souhaiterais… Je vais tenir cette 2e année et je lâcherai prise en juin prochain !
    Bon dimanche et gros bisous

    1. C’est le souci avec les jurys de prix littéraires ou les clubs de lectures, c’est que tu perds temporairement ta liberté de lecteur. Mais c’est pas mal aussi !
      On respire ici aujourd’hui…bizarre !
      Bonne am et à plus tard !

    1. As-tu lu ou vas-tu lire  » la fille du train », le thriller dont tout le monde parle dans tous les pays ou presque? Je crois que je vais me l’offrir tantôt !
      Nina Bouraoui, moi j’adore, mais sans connaître vraiment tes goûts littéraires, je ne pense pas que tu aimerais.
      Bonne journée à toi et plein de bises !

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