Delphine, la narratrice, a connu un succès retentissant avec son précédent livre, largement autobiographique qui narrait l’histoire de sa mère et de son suicide. Alors qu’elle connaît le syndrome de la page blanche, Delphine rencontre la mystérieuse L. lors d’une banale soirée à Paris. Les deux femmes sympathisent très vite, deviennent amies. Mais l’indécision littéraire légitime de Delphine sur « l’après » se transforme bientôt en véritable phobie de l’écriture et en dépression, alors que l’amitié de L se révèle être intrusive, exclusive et petit à petit destructrice…
Delphine décrit ainsi son burn-out littéraire lors d’une séance de dédicace où elle craque :
« Je ne pouvais pas lui dire Madame, je suis désolée, je n’y arrive plus, je suis fatiguée, je n’ai pas l’étoffe, la carrure, voilà tout, je sais bien que d’autres peuvent tenir des heures sans rien boire ni manger…mais moi non, pas aujourd’hui, je n’en peux plus d’écrire mon nom, mon nom est une imposture, une mystification, croyez-moi, mon nom sur ce livre n’a pas plus de valeur qu’une merde de pigeon qui serait tombée par malchance sur la page de garde ».
Ayant une affection particulière pour Delphine de Vigan après avoir lu tous ses précédents livres, j’attendais depuis longtemps de pouvoir relire sa plume et moi aussi je me demandais ce qu’on pouvait bien écrire après le tsunami engendré par Rien ne s’oppose à la nuit, aussi bien pour les lecteurs, pour l’auteur et pour le milieu de l’édition compte tenu des chiffres de vente hallucinants de ce roman (un million d’exemplaires) très personnel et dur, très impudique ont dit les détracteurs.
Delphine de Vigan devait-elle poursuivre dans cette veine du réel comme l’exhorte L. dans d‘Après une histoire vraie au point de la harceler moralement ou bien revenir à une totale fiction comme le voudrait Delphine, la narratrice du livre ? Qu’est ce que l’écriture, et la vérité en écriture ? Peut-on écrire la réalité telle qu’elle est ? La fiction qui ne part pas de faits réels existe-t-elle ? L’ écriture est-elle autre chose qu’une imposture ?
En somme, c’est le débat récurent sur la légitimité de l’autofiction en littérature ou encore la légitimité de ceux qui écrivent sur leur vie réelle , leur famille, leurs phobies, leur enfance…
Hé bien je dois dire que j’ai beaucoup aimé ce nouvel opus de Delphine de Vigan, parce que pour moi ce débat, bien qu’intéressant et logique, est purement intellectuel et vain : les grandes histoires romanesques classiques que l’on pense être des pures fictions , je pense par exemple à Rébecca ou Belle du Seigneur (voire à Madame Bovary que je connais moins que les deux autres) reposent sur quantités de faits réels qui constituaient la vraie vie de leurs auteurs. De même, comment peut-on raconter la réalité d’un traumatisme d’enfance lorsqu’on est devenu écrivain, qu’on est mère de famille, épouse, qu’il s’est écoulé parfois plus de 20 ans, sans transformer cette réalité ?
D’après une histoire vraie met une gauche dans la tête des fans du tout fiction et une droite dans celle du camp du tout réel . Delphine de Vigan manie les gants de boxe avec brio, comme dans cette conversation entre L. et Delphine:
» D : Que la vie qu’on raconte dans les livres soit vraie ou fausse, est-ce-que c’est si important ?
L: Oui c’est important. Il importe que ce soit vrai
D: Mais qui prétend le savoir ? Les gens , comme tu dis, ont peut-être seulement besoin que ça sonne juste.D’ailleurs c’est peut-être ça le mystère de l’écriture: c’est juste ou ça ne l’est pas. Je crois que les gens savent que rien de ce que nous écrivons ne nous est tout à fait étranger. Ils savent qu’il y a toujours un fil, un motif, une faille, qui nous relie au texte.Mais ils acceptent que l’on transpose, que l’on condense, que l’on déplace, que l’on travestisse. Et que l’on invente. «
Le livre est construit comme un thriller, le suspens psychologique monte progressivement, le déroulement est intelligent, rythmé. Le lecteur assidu essaye de séparer le grain de l’ivraie, de voir ce qui est vrai et ce qui est faux et finit par se poser beaucoup de questions sur L, cette femme qui prend possession petit à petit de la vie de Delphine.
L’auteur se régale à brouiller les pistes mais aussi à semer des petits cailloux biscornus et colorés pour mettre le lecteur sur la piste…ou la fausse piste.
C’est un livre que j’ai dévoré et j’ai dégusté cette crise de boulimie de mots De Viganiens.
Toutefois, D’après une histoire vraie ne sera pas mon livre préféré de l’auteur et cela pour deux raisons.
La première est que j’ai été en manque des phrases sublimes qui dans Un soir de décembre ou Les heures souterraines , voire dans No et moi et dans Rien ne s’oppose à la nuit m’avaient bouleversé presque aux larmes. Pourtant il y est aussi question de la solitude, mais davantage de celle de l’écrivain, comme dans cette charge de L.
» Demande-toi qui t’aime vraiment. Puisqu’on en parle. Je ne suis pas sûre que tu puisses faire l’économie de la solitude, je crois même que tu as intérêt à t’y préparer parce que c’est le sort de l’écrivain, creuser la fosse autour de lui, je ne pense pas qu’il y ait une autre voie, l’écriture ne répare rien, là-dessus, pour une fois, on est bien d’accord, elle creuse, elle laboure, elle dessine des tranchées de plus en plus larges, de plus en plus profondes, elle fait le vide autour de toi. Un espace nécessaire. »
La deuxième est que la pirouette de la dernière page (surtout débrouillez vous pour ne jamais tomber sur la dernière page, demandez à un proche de vous la coller proprement…faites-moi confiance) bien que géniale est une bombe à avancement et on comprend qui est L. bien avant la fin du livre.
En résumé, pour moi, d’ Après une histoire vraie est l’épilogue nécessaire à Rien ne s’oppose à la nuit, il va permettre à Delphine de Vigan d’être vraiment libérée de l’emprise de son récit et de pouvoir écrire aussi bien de la fiction que des récits autobiographiques maintenant que les pendules auront été remises à l’heure. Je parierais volontiers que son prochain roman sortira bien avant quatre ans et sera encore une fois tout en émotion et en sensibilité.
Deux phrases encore pour finir…
» Toute écriture de soi est un roman. Le récit est une illusion. Il n’existe pas. Aucun livre ne devrait être autorisé à porter cette mention. »
» Peu de gens savent se manifester si on ne les appelle pas. Peu de gens savent franchir les barrières que nous avons plantées dans le terre meuble et bourbeuse de nos tranchées. Peu de gens sont capables de venir nous chercher là où nous sommes vraiment ».
Pour ceux et celles qui aiment les mots de Delphine de Vigan, vous pouvez lire mes autres chroniques.
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