Je serai en juin en Cornouailles, au pays de Daphné du Maurier, dans les villages qui sillonnent certains de ces romans, les romans dits de Cornouailles , je voulais les lire avant de marcher sur les traces des personnages inventés par la romancière anglaise au sang à moitié français…Avant de lire Ma cousine Rachel et l’ Auberge de la Jamaïque, j’ai commencé par La crique du Français.
Résultat de ma lecture : un coup de coeur absolu pour cette histoire, qui n’est pas celle qui rencontra le plus de succès public ou critique, peut être jugée un peu trop romantique à l’époque, encore que par certains côtés elle est carrément punk, comme Daphné d’ailleurs !
Mais de quoi parle ce livre ?
Fuyant les mondanités londoniennes, Dona St. Columb, une jeune lady à la beauté fière et au caractère rebelle, s’est réfugiée au bord de la Manche dans sa résidence de Navron, dans la région des Cornouailles. Elle laisse Sir Henry, son ennuyeux mari à Londres ainsi que Lord Rockingam, qui lui fait la cour, et se réfugie dans cette maison , avec ses deux enfants et leur nounou. Là-bas, au bout d’un chemin descendant par la forêt vers l’océan, elle rencontre un pirate Français, qui pille les riches anglais du coin et amarre son bateau dans une petite crique cachée de tous…et découverte par Dona.
Dans ce roman on retrouve tous les thèmes chers à l’auteur de Rébecca:
- L’amour : La crique du Français est l’histoire d’une passion entre une jeune anglaise de 30 ans , bourgeoise, et un capitaine de bateau pirate breton séduisant et éduqué, spirituel…bref une histoire d’amour transgressive et condamnée par la bonne société.
- Les éléments : j’ai souvent eu l’impression d’être en voyage ou en vacances dans cette Cornouailles à laquelle Daphné Du Maurier fut fidèle jusqu’à sa mort. L’auteur magnifie les descriptions des paysages, de la mer, de la rivière, des oiseaux marins, comme si le lecteur pénétrait dans un pays magique et irréel.
- L’aventure : imaginez cette lady anglaise s’embarquant sur La Mouette, le bateau de son amant , et se livrant à des forfaits de piraterie, déguisée en homme, au lieu de jacasser dans les salons londoniens avec son mari rabat-joie et ses amis insipides…transgression encore une fois.
- Le suspens, à la fois au niveau de l’intrigue bien entendu, jusqu’au dernier chapitre Daphné du Maurier tient le lecteur en haleine, par son sens du récit inné et son savoir-faire pour maintenir la tension psychologique au maximum. J’aime beaucoup la fin aussi, qui est à l’unisson de celle de ses autres histoires.
- La transgression, chère à l’auteur…mais je l’ai déjà dit !
Ceux qui, dans notre monde, veulent mener une existence normale , sont contraints par des habitudes, des coutumes, des obligations, qui finissent par tuer toute initiative , toute spontanéité. L’homme n’est plus alors qu’un engrenage, qu’une fraction de machine. Rebelle, hors la loi, libre de toutes chaînes, le pirate, par contre échappe aux règles humaines.
La Crique du Français est à mes yeux un roman parfait, comme Rébecca l’était même si Manderley et les De Winter ont bien plus marqué les esprits. Je n’arrive pas à lui trouver le moindre défaut. Daphné Du Maurier allie une efficacité redoutable en tant que conteuse à un style simple mais flamboyant, hautement romanesque et beau.
Le contentement est un état où le corps et l’esprit travaillent ensemble, harmonieusement, sans friction . L’esprit est en paix. Le corps également; ils se suffisent à eux-mêmes. Le bonheur est fugace, n’apparaît souvent qu’une fois dans une existence; il ressemble à l’extase.
Je ne peux que vous le conseiller et j’ai déjà hâte de lire les deux autres livres contenus dans ce recueil des romans de Cornouailles, il y a dans La crique du Français une mélancolie qui m’a séduit, celle des lieux, du bonheur…
Dana traversa le grand vestibule désert et se rendit au jardin. La demeure semblait déjà avoir perdu son atmosphère familière et pris un air d’abandon, comme si, dans sa vieille carcasse, elle sentait que les housses allaient recouvrir les meubles, que ses portes, ses volets, seraient bientôt fermés, verrouillés, que le soleil n’entrerait plus dans ses chambres, qu’elle ne se ferait plus l’écho de voix joueuses, de rires, que seuls les tranquilles souvenirs des choses passées flotteraient dans le mystérieux silence de son obscurité. Pourtant, un fragment d’elle-même y demeurerait pour toujours : l’écho de ses pas, courant furtivement à la crique, la caresse de sa main appuyée à un arbre, l’empreinte de son corps dans les hautes herbes. Peut-être qu’un jour, aussi, au cours des années à venir, quelque voyageur solitaire , écoutant le silence comme elle-même l’avait si souvent écouté, percevrait le chuchotement des rêves que, sous le soleil ardent et le ciel bleu de cette mi-été, elle avait vécus en ce lieu.
Merci Daphné, je ne vois personne dans les romanciers de ma génération (ceux que je connais bien entendu) pour proposer ce genre d’histoires avec autant de maestria.
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