
Une autre solution était aussi de vivre . Je devais y songer. Pas d’athéisme plus fort que celui-là.
Française, la narratrice a passé son enfance en Afrique, à Djibouti. Le pays d Arthur Rimbaud, celui des Afars, des pêcheurs, des bergers, de la mer et du vent. Rentrée à Paris lorsqu’elle était adolescente, elle essaye de surmonter cet arrachement. Elle deviendra avocate, spécialisée en droit du travail et se retrouvera à défendre des entreprises qui licencient. Jusqu au jour où l’accumulation de travail et l’envie plus forte de défendre les salariés la perturbent. Elle s’ effondre en pleine audience, burn-out comme on dit aujourd’hui. La narratrice est alors conduite dans un hôpital psychiatrique, pour un très bref séjour, lors duquel ses rêves vont se rappeler à elle…
J’avais douze ans, le nez collé au hublot. Je regardais Djibouti s’éloigner , le pays des braves disparaître. J’imaginais le sillage de l’avion qui s’effaçait, couverture d’un livre qui se refermait et n’offrait plus rien à lire. Je vivrais pour toujours dans le souvenir de la Corne de l’ Afrique qui elle ne se souviendrait pas de moi. Aucune trace de mon passage sur cette terre africaine, juste dans mon ventre, dans mes poumons prêts à exploser. Je m’arrachais du berceau de l’humanité et ressentais une douleur animale, j’étais à bout de souffle, je cherchais l’air.
C’est le premier livre publié par Sigolène Vinson en 2011. Il s’agit d’une autofiction puisque la narratrice c’est elle : elle a vraiment passé une partie de son enfance à Djibouti, elle a vraiment été avocate, a vraiment passé trois jours chez les fous, suite à un gros malaise en pleine audience et a réellement laissé tomber son métier.
Les ressentis sur le travail, son travail, me parlent…et la comparaison avec la poésie aussi, car il est beaucoup question de poésie dans ce livre aussi !
La poésie était impuissante à nous sauver d’être des hommes, elle aggravait peut-être notre cas. Le labeur seul pouvait nous permettre d’avaler la pilule, à condition d’être rémunéré. Peut-être faut-il travailler sans réel motif sinon celui de gagner de quoi reconstituer sa force. On y perd peu de plumes. Bien moins d’illusions.
Fallait-il qu’ à trente ans je sois bien intégrée, exerçant un métier qui porte titre, pour en comparaison donner à mon enfance la force d’un ordre essentiel et supérieur, celui d’être. J étais quelqu’un quand je me perdais dans la contemplation d un horizon infini, sans bouger le moindre petit doigt, sans cligner de l’oeil. Je ne suis plus personne quand je plaide, quand je prends parti.
Ce livre m’a enchanté encore une fois, c’est un coup de coeur. J’ai retrouvé dans ce récit autobiographique la très forte sensibilité de Sigolène Vinson, son humanisme, son engagement « politique » et surtout son style sec, noir, parfois à la limite du morbide, tout en conservant des touches d’humour.
Et, puis, J’ai déserté le pays de l’enfance est la genèse du dernier roman de l’auteur, Danser avec les ombres, que j’ai relu à la suite, et il y a même une clé anecdotique qui explique pourquoi » Le Caillou » , qui est selon moi le meilleur livre que j’ai lu, s’agissant d’une auteur de ma génération.
Une chose étrange également, je en ressens aucune attirance pour l’ Afrique. Le désert, la chaleur écrasante, les paysages arides me font fuir. Et à force de lire Sigolène Vinson, j’arrive à trouver beau son second pays, celui où elle a passé une grande partie de son enfance, celui qu’elle pleure , celui qui l’a façonnée. Ses pleurs sont beaux, parce que c’est une déclaration d’amour à ses paysages et aux hommes et femmes qui les peuplent.
De la même manière, dans J’ai déserté le pays de l’enfance, la galerie des « fous » que la narratrice va rencontrer durant les trois jours passés au service psychiatrique d’un hôpital parisien est extrêmement humaine et forte.
Une fois de plus, je me suis laissé totalement embarquer par les mots de Sigolène Vinson. Ce n’est pas si évident dans les récits autobiographiques, même s’ils sont forcément toujours un peu romancés.
J’espère retrouver prochainement cette auteur dans un prochain roman, son dernier étant sorti en 2015, mais je crois qu’ hélas, il faudra être patient. Qu’importe, je serai au rendez-vous !

Ce long passage sur l’ Afrique d’enfance de Sigolène Vinson, pour terminer, que je trouve somptueux…tellement plus beau et fort que ce qu’écrivent habituellement les auteurs de ma génération…
Sept heures et le soleil est déjà là, cuisant, blanc, dur. Nos yeux ne voient pas, nos têtes ne pensent pas, nos jambes, cannes de pêcheurs, cuisses et mollets maigres pareils, seules remuent. Vieilles mécaniques qui avancent pour trouver l’ombre, l’endroit où l’on se pose. Dix-sept heures, les rayons se font tendres et rasants. La mer est d’or en fusion, on y entre, on y pleure, d’eau salée dans les yeux et d’indescriptible cafard. Dix-huit heures, notre peau se hérisse aux dernières lueurs. Ce n’est pas de froid, puisqu’il ne fait pas froid, c’est un nouveau sentiment qui nous saisit, l’appréhension de la nuit qui tombe sans autre transition que cette fraction de seconde où la corneille crie puis s’endort ou peut-être meurt, on ne sait jamais. Et moi, je crois mourir avec elle. Je cours me mettre à l’abri. Je m’étale de tout mon long. Face contre terre, je guette la minute qui suit et que je reconnais, je l’appelle moment de grande solitude. Viennent enfin les bruits du noir, la rumeur qui me réintègre au monde. Le miaulement pauvre du chat abyssin, le sifflement reptilien de l’électricité dans les fils au dessus de ma tête , ce même murmure qui s’échappe des lampadaires plantés sur la route de sable, faibles lampions qui font les ombres dansantes et fantastiques, la conversation rocailleuse des Afars et des Somalis aussi. Au dessus de moi, les étoiles sont au complet, celles qu’on ne voit jamais dans un ciel d’Occident, étincelles du crépuscule, de cette friction fulgurante entre le jour et la nuit. Je me relève. Ces soirs-là, je ne suis pas morte, je ne suis jamais morte. Mais ce matin de décembre 2007, ce matin où j’étais adulte et avocat, je me suis bel et bien évanouie.
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