
Les moteurs humains démarrent parfois au moment où on ne les attend pas et il serait vain de se montrer trop regardant sur la nature du carburant qui les anime.
Paul Katrakilis vit à Miami Il pratique en professionnel le jaï-alaï, une variante de la pelote basque dont la beauté le transporte. Paul, tout jeune médecin diplômé, à fuit la France et sa famille , où ce qu’il en restait, quelques années auparavant pour couper les ponts et tenter de chercher le bonheur outre Atlantique. Un jour, l’appel du consulat de France lui annonçant la mort de son père, lui aussi médecin, va l’obliger à revenir en France , à Toulouse, pour régler la succession…
C’est le premier livre de Jean-Paul Dubois que je lis, et j’avoue avoir découvert l’existence de cet auteur plus que confirmé et plutôt discret, lors de son passage à La Grande Librairie . Je me souviens avoir tout de suite accroché à ces paroles et au thème de La succession.
Après lecture, je dois dire que je n’ai pas été déçu et que j’ai beaucoup aimé ce premier contact avec l’auteur.
J’ai trouvé une vraie singularité dans le récit de cette histoire, avec le passé et le présent et plusieurs univers qui se superposent, celui de la médecine, du sport, et bien entendu de la famille.
Paul, le personnage central porte son histoire à bout de bras et son caractère est vraiment fouillé et crédible. On le suit à différents périodes de sa vie, enfant, étudiant, jeune adulte et adulte tout court, devenu le dernier maillon de sa famille.
Et cette famille parlons-en, un grand père nostalgique de Staline, un père froid et à priori dépourvu de sentiment, une mère passant sa vie avec son propre frère à réparer des montres et des horloges. Et l’auteur cogne…
Ces gens-là, incapables de vivre, de supporter leur propre poids sur cette terre, m’avaient fait, fabriqué, détraqué. J’étais venu jusqu’ici, dans cette turne de Hialey Drive pour ne plus faire partie de cette débâcle, pour échapper à ce fatum de sous-préfecture. Et voilà que l’autre était réapparu. Avec ses shorts misérables, son visage glabre, ses consultations de l’après-midi, ses éructations domestiques, ses sentences suffisantes, son latin de cuisine. Il était revenu m’emmerder ici, me pister comme un chien de ferme, renifler ma race, mon odeur, ce remugle familial.
Comme vous le voyez, Jean-Paul Dubois y va assez fort , j’ai adoré ce style à la fois désabusé, percutant, parfois cynique et mâtiné d’humour noir. Et d’ailleurs, l’histoire est vraiment noire et ceux qui attendraient les éclaircies feront peut-être bien de passer leur chemin, ou d’aller faire brûler un cierge. C’est donc très noir, d’une lucidité parfois dérangeante mais j’ai trouvé beaucoup d’humanité dans La Succession.
Mon père, posé sur l’étagère, dormait dan son urne et moi, assis à son bureau, j’évaluais du regard l’étendue de son territoire. Ce cabinet de consultation ressemblait à un caveau. Il hébergeait la maladie et un mort. Dehors la neige fondait en un goutte-à-goutte glacial.
Le livre se lit vraiment vite, j’ai trouvé quelques longueurs dans les descriptions autour de la pelote basque et de sa pratique aux USA, mais d’un autre côté, il y a aussi des incursions dans le Pays Basque qui m’ont réjouies.
Par contre, le vocabulaire est très recherché, parfois un peu trop pour moi, de nombreux mots m’étaient inconnus.
Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d’entrée d’un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d’humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d’une âme. La médecine ne traitait pas ce genre de questions. Pour elle l’ongle incarné primait toujours sur l’herméneutique. Comme disait l’un de mes professeurs pour casser les reins de quelques internes pressés d’en découdre : « nous ne sommes là que pour assurer une zone de moindre inconfort entre les griffes du forceps et celles de la broyeuse. »
En résumé, La succession n’est pas un coup de coeur mais presque, et je relirai Jean-Paul Dubois, je ne sais pas sur quel titre, il y en a beaucoup dont certains ont obtenus de vrais succès et des prix littéraires courus. A suivre donc mais à éviter pou les bisounourses ou en cas de grosse déprime, quoi que…
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.